Grèce : un référendum qui arrive
L'intégralité du débat avec Alain Salles, correspondant du "Monde" à Athènes, mercredi 2 novembre 2011Louise : Pourquoi Georges Papandréou a-t-il décidé d'appeler à un référendum à ce moment de la crise et pas plus tôt ?
Alain Salles : C'est la question que tout le monde se pose en Grèce. Cela semble en effet bien tard. Le mémorandum signé entre Athènes, le FMI, la Commission européenne et la BCE, qui permettait le déboursement d'un prêt de 110 milliards d'euros à la Grèce en contrepartie d'efforts pour réduire son déficit, a été accepté sans que le peuple soit consulté. Pourtant, en 2010, il y avait une majorité de Grecs favorables aux mesures de rigueur, même si ce n'était pas de gaîté de cœur
Un an après, le mémorandum a été révisé, l'Europe a fait un nouveau plan d'aide en juillet dernier. Là non plus, le peuple n'a pas été consulté, et l'accord s'est rapidement avéré caduc. Finalement, le nouveau texte sur lequel le gouvernement appelle les Grecs à se prononcer arrive un an et demi après les premières mesures de rigueur, au moment où une grande partie de la population a des doutes sur l'efficacité de ces mesures.
Sigma : Est-ce que ce sont les pressions subies par le premier ministre au sein de son gouvernement et de son parti qui l'ont poussé à choisir la voie du référendum ?
Alain Salles : Je crois que plusieurs raisons ont conduit Georges Papandréou à prendre cette décision. D'abord, il avait le sentiment de perdre la main face à Bruxelles et la troïka. Sur le plan interne, il avait laissé beaucoup de place à son ministre des finances, Evangelos Venizelos, qui lui faisait un peu d'ombre. Par ailleurs, il pâtissait de l'impopularité grandissante du gouvernement et constatait à chaque vote que sa majorité se réduisait.
Il lui fallait à un moment ou à un autre essayer de rebondir. Il y avait plusieurs solutions : organiser un vote au Parlement à une majorité élargie, au-delà des députés du PASOK (mouvement socialiste panhellénique, au pouvoir). Ça aurait été difficile car les autres partis ne le soutiennent pas, et certains membres de son propre mouvement prennent de plus en plus leurs distances.
L'autre solution était d'organiser des élections anticipées. M. Papandréou s'y est refusé car il considérait que cela allait déstabiliser le pays dans un moment crucial, alors qu'on finalisait les négociations de l'accord européen. Une Grèce sans gouvernement à ce moment-là pouvait remettre en cause une partie des mesures envisagées. Il a donc choisi la voie du référendum, mais les réactions depuis cette annonce montrent que cela peut entraîner une instabilité aussi grande qu'une campagne électorale.
Michel : Le premier ministre a-t-il donné une idée de la question qui sera posée lors du référendum ? Rester ou non dans l'UE ? Rester ou non dans la zone euro ? Accepter ou refuser le plan conclu jeudi dernier ?
Alain Salles : La question n'a pas été arrêtée. Il y avait des informations dans la presse grecque ce matin qui disaient qu'elle pouvait porter sur l'accord, sur l'Europe et sur la zone euro. Mais cela reste assez incertain. En principe, le référendum doit avoir lieu en janvier, mais le ministre de l'intérieur a dit que ce serait peut-être en décembre, à condition que les négociations entre la Grèce et l'UE sur le plan d'aide du 27 octobre soient bouclées.
Pierre : Georges Papandréou peut-il encore espérer s'appuyer sur une majorité solide ? Ses soutiens semblent s'étioler sans cesse... Est-il encore l'homme de la situation ?
Alain Salles : Vendredi, les députés devront voter ou non la confiance dans le gouvernement. C'est le premier pari de Georges Papandréou. Son objectif est d'essayer de ressouder la majorité du PASOK qui s'étiole, mais il y a de très grosses incertitudes. Une députée a d'ores et déjà démissionné du groupe parlementaire socialiste, ce qui porte la majorité de celui-ci à seulement deux voix alors qu'une autre poignée de députés du PASOK se sont prononcés contre le référendum et demandent la démission du premier ministre afin de mettre en place un gouvernement d'union nationale.
Georges Papandréou peut espérer convaincre des députés indépendants de voter la confiance et ainsi éviter la chute du gouvernement. Là aussi, l'issue est très incertaine, et sa majorité ne tient qu'à un fil. Le sentiment qu'il y a ici est que même s'il réussisait à obtenir la confiance du Parlement à l'arraché vendredi, il risquerait de perdre d'autres votes au Parlement rapidement.
Valérian : Pensez-vous que le gouvernement grec pourra convaincre ses concitoyens de ne pas transformer ce référendum en vote pour ou contre Papandréou ?
Alain Salles : On sait bien que dans un référendum, ce qui compte, ce n'est pas toujours la question posée, mais la personne qui la pose. Donc je pense qu'effectivement, le référendum va tourner au vote de confiance. Et l'issue en est des plus incertaines compte tenu de la popularité très basse du premier ministre.
roger : En combien de temps ce référendum peut-il être mis en place ?
Ludovic : La Grèce a-t-elle suffisamment d'argent dans ses caisses pour survivre jusqu'à la tenue du référendum ?
Alain Salles : Ce qui est prévu, c'est que le référendum ait lieu en janvier, éventuellement avant, en décembre. La Grèce a-t-elle assez d'argent pour tenir jusque là ? Cela sera très difficile, car l'annonce du référendum peut remettre en cause le versement de l'argent du FMI en ce qui concerne la tranche de prêts de huit milliards d'euros qui devait être versé au mois de novembre, conformément aux engagements pris par l'Union européenne et le FMI.
La troïka doit revenir en décembre à Athènes pour voir si le gouvernement répond aux conditions qui permettraient à la Grèce de recevoir une nouvelle tranche de cinq milliards d'euros. Quelle va être l'attitude des inspecteurs, de plus en plus sévères à chacune de leurs visites, surtout si la Grèce est en pleine campagne électorale, voire sans gouvernement ?
Frédéric : Si le gouvernement devait démissionner vendredi, est-ce que le référendum serait maintenu ?
Alain Salles : Cela semble assez difficile dans la mesure où c'est vraiment une idée de Georges Papandréou, qu'il en a décidé avec un faible nombre de conseillers. Il apparaît que même le ministre des finances n'était pas au courant de l'annonce. Les réactions des partis politiques ici ont toutes été négatives, évoquant l'irresponsabilité du premier ministre, un piège, et beaucoup préfèrent qu'on ait recours à des élections immédiates.
Pl : En cas de "non", quelles seraient les conséquences pour la Grèce ? Serait-elle obligée de sortir de la zone euro ?
Alain Salles : Si le "non" l'emportait, cela signifierait que la Grèce rejette le plan d'aide européen, ce qui entraînerait sa faillite immédiate. Elle ne pourrait évidemment pas rembourser sa dette, un scénario que ses partenaires européens ont essayé d'éviter à tout prix de peur des conséquences qu'aurait une telle situation sur la zone euro.
Aujourd'hui, l'Italie est sévèrement attaquée par les marchés. Si un pays de la zone euro faisait faillite, cela donnerait à penser que d'autres pays pourraient emprunter la même voie.
La Grèce, elle, serait contrainte de quitter la zone euro. Il y aurait un retour à la monnaie nationale, ce qui voudrait dire que la valeur de l'argent possédé par les Grecs serait sévèrement diminué. Cette dévaluation pourrait avoir une vertu, celle de favoriser les exportations, mais la Grèce exporte peu et risquerait donc de payer un lourd prix si une telle politique était mise en place.
Sébastien : Quelle solution propose l'opposition face au problème de la dette ?
Alain Salles : L'opposition, principalement le parti de droite Nouvelle démocratie, s'est prononcée contre les mesures de rigueur. La droite fait campagne depuis longtemps pour une renégociation du mémorandum. Elle est en faveur d'une réduction de déficit, mais juge prioritaire de développer des mesures de croissance et de réduire les impôts. Une position qui a mis la Nouvelle Démocratie en porte-à-faux par rapport aux autres leaders conservateurs européens.
benji : Comment la population grecque réagit-elle à ce "coup de poker" du gouvernement ?
Alain Salles : J'ai interrogé quelques personnes. C'est loin d'être un sondage, mais tous mes interlocuteurs exprimaient un rejet important du gouvernement et des partis politiques, qu'ils soient de gauche ou de droite, qui sont jugés au fond responsables de la crise et de l'endettement. Le référendum est plutôt pris comme une manœuvre, et la plupart des gens que j'ai interrogés m'ont dit qu'ils répondraient "non", notamment pour affirmer leur opposition au gouvernement.
Benjamin : Le rejet des politiciens grecs est-il global, ou bien assistons-nous à la montée de partis plus ou moins contestataires, comme l'extrème gauche ou l'extrème droite ?
Alain Salles : Il y a un rejet global des deux grands partis de gouvernement, le PASOK, socialiste, et Nouvelle Démocratie, de droite. Cela bénéficie effectivement au Parti communiste, qui reste fort en Grèce (c'est le troisième parti du pays), et aussi à l'extrême gauche comme à l'extrême droite, qui a soutenu le mémorandum et était prêt à participer à un gouvernement d'union nationale.
Guena : Est-ce que la mouvance nationaliste en Grèce profite davantage que les autres de la crise ?
Alain Salles : Vous parlez certainement du Laos, un parti dont le nom signifie "le peuple" en grec. Il progresse effectivement, mais pas davantage que le Parti communiste. Par contre, on assiste à une montée de groupuscules d'extrême droite, qui ont fait leur entrée à la mairie d'Athènes il y a un an, mais qui prospèrent principalement sur le rejet des étrangers et des immigrés.
Michel : Malgré les risques qu'il comporte, un tel référendum n'est-il pas porteur de valeurs et d'idéaux démocratiques ?
Alain Salles : Souvent, en Europe, on a eu peur de s'adresser directement au peuple. C'était le cas en France avec le traité de Maastricht, adopté de justesse. Les marchés paniquent parce qu'une telle question posée par un gouvernement aussi affaibli a de bonnes chances d'aboutir à une réponse négative, et donc à tout remettre en cause.
Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas faire de référendum, mais il aurait mieux valu le faire plus tôt. La Grèce est un pays qui est tourné vers l'Europe depuis la fin de la dictature en 1974. L'adhésion, puis l'entrée dans l'euro, ont été importants dans un pays qui avait une histoire difficile, un moyen de progresser dans la modernité. La plupart des jeunes Grecs sont allés étudiés dans les autres capitales européennes. Aujourd'hui, l'Europe rime avec austérité, chômage et pauvreté.
Guest : Ce référendum ne servirait-il pas de soupape sociale, alors que la situation se tend au point qu'on puisse craindre une guerre civile ?
Alain Salles : Oui, bien sûr, il peut y avoir un effet libératoire à voter contre l'Europe, contre les mesures d'austérité, contre le gouvernement. Et cela risque d'être pris comme tel par une grande partie des votants. Mais personne ne s'exprimera au fond sur les conséquences d'un rejet du plan d'aide européen et les risques d'une sortie de la Grèce de la zone euro.
D'une certaine manière, les manifestations jouent aussi ce rôle de soupape sociale. Cela permet-il d'éviter une guerre civile ? Je n'en sais rien. La Grèce a connu des guerres civiles, de forts moments de tension. Toute la gestion de la crise par l'Europe et par le gouvernement a donné l'impression aux gens qu'ils étaient sacrifiés. Cela a provoqué beaucoup de colère. Une rage qui s'est retrouvée dans les manifestations, et pourrait s'exprimer dans un vote négatif au référendum. Mais est-ce la bonne solution ?
Anne : Un "oui" au référendum sauverait-il Papandréou ?
Alain Salles : S'il réussit ce pari, auquel personne ne croit aujourd'hui, il retrouverait effectivement une légitimité qu'il a perdue.
Chat modéré par Elise Barthet
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